Paul Claudel (1868-1955) écrit entre 1911 et 1916 une moderne trilogie, L’otage, Le pain dur, Le père humilié, trilogie qui fait penser à l’Orestie d’Eschyle. Cette fresque va de la révolution au second empire. L’histoire de la famille noble des Coûfontaine et de celle roturière des Turelure croise la grande histoire, puisque Le pain dur commence en 1830 alors que s’instaure en France le monarchie constitutionnelle, que débute la colonisation, que les pays de l’est s’entredéchirent et que s’amorce l’essor industriel et technologique qui va mettre définitivement la bourgeoisie aux commandes de la société. C’est le portrait d’un monde en décomposition où les idéaux collectifs et révolutionnaires du siècle précédent sont remplacés par la seule défense des intérêts particuliers au service des puissances de l’argent. Que d’échos avec ce qui se passe aujourd’hui ! La loi de la jungle pour tous... L’argent à la place de tout.
Cette sombre histoire digne de celle des Atrides, où l’on voit des pères et des enfants s’opposer les uns contre les autres, se détruire et recommencer à vivre, pose en définitive la question de la survie spirituelle de la société. Tous les personnages du pain dur, à l’exception de la comtesse polonaise Lumir, sont des êtres qui refusent leur vocation divine pour servir, qui le capitalisme industriel, qui le colonialisme, qui le matérialisme économique et qui son propre arrivisme. Cette fable aux allures de polar sarcastique résonne comme un cri d’alarme sur un plateau où gît misérablement un Christ en croix qui sera vendu pour quelques francs…
Il s’agit pour nous encore de se pencher sur cette douloureuse question du "comment vivre ensemble"… surtout si on laisse libre cours à ses instincts de prédation.
Dans la nudité d’un plateau débarrassé de ses ors théâtraux nous essayerons de faire entendre au plus près le verbe de cette magnifique écriture de théâtre. Du vrai théâtre vibrant, cruel, violent et dense. Comme notre époque.
Michel Belletante
Mai 2004
Résumé de l’histoire : Toussaint Turelure veuf de Sygne de Coûfontaine, est un révolutionnaire devenu conservateur et capitaine d’industrie. Il veut transformer le vieux domaine ancestral de la famille des Coûfontaine en papeterie. Son fils Louis a déserté l’armée pour partir en Algérie où il poursuit sans aucun succès le rêve de conquérir la terre. Pour acheter son exploitation il s’est endetté lourdement sans savoir que son créancier était en fait son père. Acculé à rembourser, il emprunte à son amie Lumir, une comtesse polonaise, l’argent qu’elle tenait de son père pour armer le mouvement national polonais. Elle veut récupérer cet argent, elle vient en France le demander au père de Louis, qui tombe amoureux d’elle. Louis la rejoint…à la demande de Sichel, la maîtresse juive de son père. Une partie de cartes à cinq, les dés sont jetés.
Le pain dur est le deuxième volet de la célèbre trilogie de Claudel, trilogie évoquant la saga d’une famille aristocrate entre 1813 et 1871.
Derrière un enchevêtrement d’histoires de dettes, d’alliance et de mésalliance, on frôle la bouffonnerie dans ce drame qui nous reparle pourtant de l’un des mythes les plus fondateurs de l’humanité, celui d’Œdipe, avec dans son sillage la Mort du Père…
Michel Belletante et Théâtre et Compagnie ont lancé un chantier autour de ce texte et proposent à travers leur travail, une approche du théâtre que nous ne sommes plus habitués à rencontrer. Il s’agit en effet de faire comprendre aux spectateurs les enjeux d’une représentation, d’un texte fort et peu joué, pour les comédiens, en instaurant une relation avant et après le spectacle, un peu comme une veillée. Cette intimité sera renforcée dans les cas où nous ne jouerons pas sur un plateau de théâtre, mais dans tout lieu aménageable rapidement.